J’ai d’abord cherché sur la toile si quelqu’un avait déjà écrit quelque chose dessus. Une recherche non approfondie pour être sur de ne rien trouver et donc de garder du coeur à l’écriture.
Rien trouvé, non ça serait mentir. “Esthétique de la carte” me donne des offres à la carte de chirurgie esthétique. Rapide coup d’œil sur mon corps à moitié nu, tenue imposé par le décor d’une plage Thaïlandaise. Non ça devrait encore tenir comme ça quelques années.
Et comme Google remet à l’Homme de s’abstenir de phrase entière, je tente le combo “Esthétique carte voyage”. Peu concluant. On me propose l’avion pour la Turquie en plus du soin esthétique à la carte.
J’en suis alors toujours au même point, qu’est ce que l’esthétique de la carte ? Tout autre chose que ce que j’ai pu trouver jusqu’alors.
C’est un Homme penché sur une carte papier ou électronique. De là, c’est l’obstination à se mouvoir sur la courbure du globe en se projetant sur la platitude d’une carte.
Il garde au fond de lui l’envie de décrire un tracé esthétique.
Fi du dénivelé ou des frontières, du nom des pays ou de la fatigue, pourvu que ca ait un sens visuel.
Avant que le premiers pas soit effectué, cette carte peut être au mur, au sol. Elle a dés lors toute autre rôle.
C’est l’obstination que l’on a cloué, l’opiniâtreté que l’on étale. Le symbole d’une lutte contre l’épuisement, une gisement de motivation à portée de main.
Claude Marthaler, dans son livre Le chant des roues parlait de cette ligne qu’il ne voulait pas briser. Comme une ligne de vie. Comme une main que l’on tient.
Car oui, dans le cas de Marthaler comme dans le mien, l’engagement à vélo à long cours amène le côté relation amoureuse à faire défaut. Alors il faut bien tenir la main à quelqu’un.
Puis petit à petit, à mesure que le temps passe et que les jambes font tourner le pédalier, la progression sur la carte se fait proportionnellement à l’effort fourni.
Et c’est une ligne que l’on ne veut pas briser. Malgré le froid, la chaleur, le vent, la fatigue, le manque de motivation, les sirènes extérieurs.
Prendre un bus ou un train reviendrait à rompre ces lente progression sur la carte, rompre l’équilibre des distances qui séparent deux points, deux annotations, deux crois anodines.
C’est d’apparence anodine et pourtant. Lorsque l’on fait tenir sa vie dans quelques sacs tout au plus, il n’y a rien d’anodin.
Le temps passe et la parjure faite à la promesse de n’emporter que l’essentiel est traité à la racine.
Saint ex disait : “La perfection est atteinte, non pas lorsqu'il n'y a plus rien à ajouter, mais lorsqu'il n'y a plus rien à retirer.”
Une fois parvenue à ce degré, tout est purifié au point de trouver de l’esthétique dans chacun de ses mouvements, de ses pièces de matériel, des parties de son vélo. De sa progression sur le globe.
Certaines choses peuvent avoir un côté obsolète. Pas la carte d’un Homme qui s’engage corps et âme dans une instable et têtu progression physique.
Un amour silencieux mais loin d’être platonique pour un peu que l’on passe par quelques montagnes.
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Les premières cartes connues représentaient le ciel et les étoiles. Comme si l’intérêt des cartes n’étaient que dans l’accès au fantasme sur l’inaccessible. Car les cartes ont un charme différent lorsqu’elles sont parcourues. Elles font ouvrir de grands yeux affamés sur des noms parfois à la limite de l’improbable, du prononçable.
Puis les noms se matérialisent en un regard, puis le regard avance. Le décor reste. Ainsi des noms qui deviennent des souvenirs. Ces noms tenant en quelque lettre emplissent alors un Homme donnant un vie palpable à ses cinq sens.
Cependant, c’est parfois, et même souvent, moins poétique. On oublie, on passe, on accumule tant que le trajet devient flou.
Pour ça les noms de fleuve, villes, sommets, pays, tentent de rivaliser de douce brutalité. Attirer l’œil pour envoyer le corps à la conquête. Une conquête de noms, une moissons d’endroits que ces noms seuls déjà laissent rêveur.
Puis si la réalité déçoit, on peut toujours fermer les yeux un court instant et répéter le nom comme un mantra. Gardons tout de même un oeil à demi ouvert pour scruter la route qui défile sous les roues.
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L’esthétique de la carte car peut être aussi écrite et lue une partition. Les routes de montagnes sont a préférées car permettent de dessiner de jolies clés de sol. Musique du pédalier qui enclenche le mouvement perpétuel.
Et donc une arabesque nait de ce mouvement perpétuel.
Et cette arabesque n’est qu’un des dénominateurs communs d’une partition qui en assemble d’autres, attachés par une ligne invisible qu’est notre cheminement.
Cette partition, constitué de notes, autant de points où l’on a laissé une partie de nous même. Et cette pétition, qu’il appartient à nous de combler des plus belles notes. Miles Davis disait qu’il ne s’agit pas de jouer beaucoup de notes, simplement de jouer les meilleurs.
La carte papier est réservé à l’esthète non regardant sur le poids.
Lorsque inconsciemment je prenais mon vélo pour une mule, je transportais les cartes des 5 ou 6 pays à venir. Non pas qu’elle furent très utile. Mais j’aimais les étaler.
Apparu en fin du 19éme siècle, la carte routière utilisé par les cyclistes s’adapta au changement des moyens de transport. Depuis, quelques malins ont fait tenir le planisphère dans la poche.
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Force est de constater que, fils de mon temps, je suis entré dans l’ère cartographique du 21éme siècle comme tous disent avec beaucoup d’aplomb.
Je ne traine plus ces cartes par minutieux soucis de simplicité et légèreté. Mais où est réellement la frontière avec la simplicité ?
En somme, J’ai gagné en légèreté ce que j’ai perdu en poésie.
D’ailleurs, impossible à dire si j’ai “gagné” quoi que ce soit, puisque je n’ai fait que successivement retirer, poids et poésie.
A croire que la poésie se paie en douleur physique.
Tout est question de savoir quelle balance on utilise pour peser son existence.
Du romantisme qu’offrait ces mètres carrés de terre plate annotées que sont les cartes, je me suis octroyé une légèreté physique pour entreprendre une danse plus souple encore.
Car ce sont les mains qui dansent lorsque les cartes sont jetées au sol ou accrochées au mur. L’esprit est déjà loin, bien loin, comme avec une femme, lorsque la main touche le papier.
La relation est quasi érotique. Alors le plongeon dans les souvenirs, les méandres du passé. Équation passée ou futur. Une somme de route, de numéro, de villes, de pays, de régions, de sommets.
Et qui dit danse dit chorégraphie. A l’image du grand Architecte, le grand Chorégraphe.
Une chorégraphie esthétique du corps quasi immobile sur une planète en perpétuel mouvement. Le fameux voyage où l’on va plus loin en ne bougeant aucunement. Un coup d’œil
pour embrasser l’entièreté de ce que l’Homme s’échine à parcourir.
Dans le mouvement d’autrui, se satisfaire de son immobilité.
Toujours est il que j’ai conservé cet esprit d’esthétique de la carte. Qui n’est plus matérialisé que par la nuée des petits points, tel les cailloux semés du petit poucet, où mon corps fatigué s’est écroulé pour la nuit certes, mais avec un peu de malice, on peut la rendre attirante.
Ainsi de ces points, on dessine une courbe sur la carte. La courbe d’une femme qui peut être manque. La courbe féminine d’un monde bien trop masculin, en tout cas celui dans lequel j’évolue.
Un proverbe Tibétain dit qu’au sommet d’une montagne on y trouve que ce que l’on y apporte.
Et ainsi de la trace visible de mon mouvement sur la carte. Je n’y trouve que ce que je veux bien y voir.
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