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Photo du rédacteurClotaire Mandel

Au delà du cercle polaire.

Lorsque je pensais au cercle polaire arctique, je n’imaginais pas dégouliner en plein soleil sur le bord de la piste. 

Bon, je n’imaginais pas nécessairement faire de la bicyclette dans ces contrées là déjà. Mais la magie d’un voyage à vélo qui s’éternise me pousse à explorer latitudes et longitudes inespérées.



La roue est démontée, et les genoux dans la caillasse j’essaie tant bien que mal de remonter le pneu dans la jante. Le système tubeless n’est plus, il me faut remettre une chambre à air. Mais je n’y arrive pas seul, le pneu étant raide comme les pentes de cette foutue Dalton Highway. 

Je casse mes deux démonte pneus, pour finalement décider de faire du stop, car mon ami est devant, se disant que je me suis encore arrêté pour pisser ou prendre une fleur en photo.

Si j’ai vu pas mal de voitures passer aujourd’hui, il aura fallu que j’ai besoin d’une d’entre elles pour que le trafic cesse.

Le silence. Celui que l’on trouve en mélangeant les lieux reculés et les jours sans vent. Pour quelques secondes seulement, car bientôt les moustiques démarrent leur agaçant petit concert. 



Un peu d’eau dans le fond des gourdes et une barre de céréales pour seul réconfort. Jusqu’à ce que la première voiture s’arrête et m’embarque. Adam m’avance de quelques kilomètres, et à trois nous remettons le pneu dans la jante, avec une chambre à air. Il prend mon contact et me souhaite bon courage. Il suffira de quelques centaines de mètres pour que le pneu soit de nouveau à plat. Je trouve une flaque pas trop loin et repère trois trois. Je les répare, regonfle, fait deux cents mètres, et retombe à plat. On recommence. Je trouve de nouveau quelques trous. Mais je n’ai plus de quoi réparer autant de crevaisons, et n’ai pas d’autres chambres à air.



Un camping-car s’arrête :  “Todo bien ?” Arnold, un porto Ricain vole à notre rescousse, et certains d’avoir de quoi réparer la chambre à air, retourne le camping car de fond en comble. Il nous tend une bière fraîche, et fouille dans chaque petite porte et trappe que comporte le camping-car. Il trouve enfin deux chambres à air. La taille correspond, on trinque, et je m'attèle au changement. Mais la valve est trop grosse. Le sourire retombe. Il propose de sortir sa perceuse et d’agrandir le trou de la jante, ce qui en effet est une solution, mais probablement pas la bonne. Il ne manquerait plus que je fissure cette belle jante ici et l’histoire serait pliée. Bon.



La solution c’est de me faire déposer à la destination finale, Deadhorse, et de prier pour trouver une chambre à air.Trouver une chambre à air de la bonne dimension et avec une valve compatible, au bord de l’océan arctique. Pourquoi pas après tout ? J’embarque dans son camion et on part vers le nord. Je regarde le paysage défiler par la fenêtre avec l'air contrit de celui qui découvre un paysage non pas à vélo, mais en voiture, grignotant un morceau de carte beaucoup trop rapidement. Nous essayons de nous comprendre, avoir mon espagnol qui peine à revenir, et son espagnol bien trop rapide et spécifique, tout ceci pendant que je me gave de ce qu’il me reste de nourriture. De toute façon, dans l’immédiat, la partie est terminée, et je vais sûrement trouver à manger là-haut. 

La route paraît interminable en voiture.



Et étrangement, les kilomètres semblent défiler plus lentement qu’à vélo. Par la longue ligne droite qui coupe les plates plaines du nord, nous arrivons à Deadhorse. Arnold veut absolument aller à ce magasin devant lequel se trouve le fameux panneau plein d’autocollants. Un simple magasin de bricolage se retrouve à être un phare dans la nuit de ceux qui s’engagent dans cette longue voie sans issue.



Nous tournons en rond, puis le trouvons finalement. Le magasin est fermé, mais le fameux mur bleu est bien là.Il lui faudra une bonne heure pour prendre ses photos dans tous les angles possibles, mettre ses autocollants le plus haut possible sur le mur. La lumière étant au rendez vous, la session photo s’attarde, en effet, le soleil ne se couchera pas ce soir. J’avoue que j’en ai aussi rêvé de cette photo, et il insiste pour me tirer le portrait. J’apparais à l’évidence plutôt dépité, avec une roue démontée, plutôt qu’avec le sourire et mon vélo tenant d’une pièce comme espéré.



Nous sortons de la ville pour aller camper. J’étale tout ce qu’il reste de colle, de rustine, de chambre à air, vidant le vélo et le camping-car. Tout ce qui peut m’aider à réparer cette chambre à air est mis à profit. A deux, nous essayons tout ce qu’il est possible de faire sur un parking du bout du monde. Je me dis qu’il faut essayer, tant qu’il y a de la lumière il y a de l’espoir. Mais à une heure du matin, Arnold m’appelle pour manger, je n’avais pas vu l’heure passer. De toute façon, rien n’indique que la lumière cessera ce soir. Je me couche sur la banquette à l’intérieur de son camion. Dehors, il y a toujours de la lumière, mais peu d’espoir. Le lendemain, je me réveille et lui dit “Soy en paz esta manana. He intentado”. Je suis en paix ce matin, au moins j’aurais essayé. Ne sachant pas trop quoi faire ni où aller, Arnold me dépose devant cette fameuse épicerie. Car malgré avoir dit que j’étais en paix avec moi même, l’intérieur de ma boite crânienne ressemble en effet plus à un champ de bataille qu’à autre chose. Dans le magasin, pas de chambre à air. Il faut imaginer une espèce de magasin de bricolage tout en haut de la carte, au sommet de la route la plus au nord des Etats-Unis. J’explique au vendeur la situation, et il me dit qu’il peut commander des chambres à air depuis Anchorage, et qu’elles arriveront en avion avec le reste dans la semaine prochaine. Les frais d'expédition dépendent de la quantité qui est envoyée, mais ne devraient pas dépasser 50$ la chambre à air. Cependant, il faut attendre au moins quatre jours ici. Je n’ai presque plus rien à manger, alors je vais à l’épicerie à l’étage. Cette dernière ne vend que du sucre sous toutes ses formes. Dans les faits je pourrais survivre, mais est ce plaisant ?En somme, vivre de cacahuète et de bonbons les quatres prochains jours, et les jours qui suivront lorsqu’il faudra repartir en sens inverse pour compléter les kilomètres que j’ai manqué à cause du pneu. Il y a bien les fameuses “spike room”, mais l'accès est relativement coûteux, et passer la nuit dans ces hôtels revient à environ 200$ par personne en espérant que mon pote arrive ce soir et qu’il veuille rester un peu ici, à dépenser une somme conséquente à attendre une chambre à air venue du ciel. Je redescends au magasin. Je m’adresse au vendeur comme je m'adresse à moi même, mais à voix haute. J’explique que tout ça est finalement bien trop coûteux pour un entêtement. Dépenser des centaines et des centaines de dollars pour couvrir 200km de piste, et pas nécessairement les plus beaux kilomètres. Ça frôle presque l’absurdité. C’est de l’entêtement, ça n’a pas de sens. Il coupe mon mon monologue et me dit : Si tu es là, à chercher des solutions pour finir de rouler cette route, c’est que ça a du sens. Tu ne vas pas abandonner ici et maintenant quand même ?



Voilà qui n’est pas pour aider, mais voilà qui est bien vrai. Je ne peux pas repartir sans rouler cette petite portion de route manquante. Ce serait un trou dans la carte, dans un endroit où je ne remettrais plus jamais les pieds. Ne pas commencer la traversée des Amériques par un trou dans la carte. Quitte à m’être mis dans cette panade, autant finir ça proprement, même si c’est mal engagé.A moins que. A moins que j’arrive à recoudre le pneu et que je trouve des patchs pour pneus de camion. Que ça suffise et que j’ai accès à un compresseur. A ce stade, ça doit bien faire huit jours que je ne me suis pas lavé, alors je ne suis plus à ça près. Je m’installe par terre, à côté du magasin, dans la poussière. Je sors mon kit de couture et recouds le pneu du mieux que je peux.



Ma grand-mère serait fière de moi. Je trouve un kit de réparation pour camion, et je viens coller tout ça. Les gens travaillant sur le champ pétrolifère vont et viennent en me saluant chaleureusement. On me propose plusieurs fois de l’aide, de me déposer quelque part, de me trouver un produit miracle. Mais je crois que c’est bon. J’y crois. Je vais remettre ce foutu pneu dans la jante, puis la roue sur le vélo, et je vais repartir d’ici fièrement. 

Le collage sèche et semble tenir. Je me dégote un compresseur dans un immense hangar, fait claquer le pneu dans la jante et le regonfle.


Il n’y a plus qu’à attendre.



Je suis poussiéreux, et en bon ouvrier que je suis j’ai mis de la colle partout sur mon pantalon. Mais le pneu semble tenir. Je suis hilare.

Mon ami arrive, on se prend chaleureusement dans les bras, et finalement prenons une photo devant le panneau. Cette fois-ci avec le sourire, et le vélo tenant sur deux roues bien gonflées.



Jusqu’ici tout va bien. Il n’y a plus qu’à attendre demain matin pour voir si le pneu ne s’est pas dégonflé.

Lui a fini, et demain il tentera de rentrer en stop jusqu'à Fairbanks. Pour moi, demain c’est la reprise en sens inverse, jusqu’au point où j’ai arrêté. En admettant que le pneu tienne, il faut que je puisse repartir du campement demain matin. Il est interdit de camper dans Deadhorse, donc il faut de toute façon ressortir de la ville, vers le sud, dans ma direction.


Nous arrivons à bénéficier de l’entrée dans une spike room, mangeons sans discontinuer, chargeons les téléphones et je mets de la nourriture dans les sacoches, assez pour passer les prochains trois jours sur la piste sans avoir trop à me soucier de mon éventuelle survie.



Aussi, je reçois un message d’Adam, qui m’avait déposé la première fois où j’étais en rade au bord de la route. Il a déposé un petit sac de snacks pour moi, caché sous un rocher, à l’endroit où il m’a déposé.

Nous campons dans un endroit magnifique, dans les étendues herbeuses ignorées du reste du monde. Et la première chose que je fais en me réveillant, c’est de tâter mon pneu. C’est bon, je repars.


Je range, on se dit au revoir, et je reprends la route plein sud. Il y a d’immenses troupeaux de caribous un peu partout, l’asphalte est parfait et le soleil brillera aujourd’hui. Le moral est haut.

Je campe à mi-chemin, et le lendemain je repars tôt pour arriver le plus vite possible au point où je m’étais arrêté, afin de profiter du trafic de ceux rentrant vers Fairbanks, maximisant mes chances de trouver quelqu’un rapidement.




J’arrive à ce fameux point, je récupère mon petit sac surprise sous un rocher. Gratitude.


Un van s’arrête, et un mec en sort.


“Tu as besoin d’eau ?


- Non, mais j’ai besoin d’une voiture pour me ramener à Fairbanks


- Ok, monte.”



Seth et Gabrielle veulent faire les huit heures de route qu’il reste jusqu'à Fairbanks, et ça m’arrange bien.


Je suis leur tout premier auto-stoppeur. Ils me disent être chrétien, et avoir l’envie de pratiquer la charité après l’avoir beaucoup entendu prêcher. Ça tombe plutôt bien, puisque j’ai besoin de leur aide.


Le trajet passe à une vitesse folle, nous ne faisons que bavarder en grignottant ce que j’ai trouvé sous un rocher au bord de la route !

Ils me donnent envie de voir le “Deep south”, et je leur donne envie de voir le reste du vaste monde.


Arrivés à Fairbanks, ils m’invitent au restaurant et me déposent chez Michael, mon hôte warmshower chez qui mon ami m’attend déjà.

C’est fait. Nous avons roulé l’intégralité de la Dalton Highway, il est plus que temps de prendre une douche et de passer une bonne nuit sans batailler avec les moustiques.



Je crois qu’il y a peu d'endroits comme l’Alaska. Les êtres humains qui habitent cet endroit ont quelque chose de spécial. Tout comme le décor.

J’aime les bouts du monde, là où la terre s’arrête. Là où le reste commence.

J’aime ce petit quelque chose de désolé dans le paysage. Car cette désolation est sublime dans son genre. C’est épuré, efficace, simple.

Et ça épure aussi les gens qui y passent. On se sent petit et vulnérable. Grateful.


Je repense à ce mec tout là haut, au magasin. Parfois on a juste besoin de quelqu’un qui nous regarde d’un air un peu embarrassé en nous disant : Tu ne vas quand même pas abandonner maintenant ?


On ne se doute pas de l’influence que l’on peut avoir sur les individus autour de nous. Du changement que l’on peut amorcer. D’un monde meilleur que l’on peut créer.


Merci à lui et aux autres.


Je suis fier de ne pas avoir abandonné, de ne pas avoir crû à mes paroles quand j’ai prétendu être en paix avec moi-même.


Mais quand même, vérifiez bien votre équipement avant de partir, et ne pensez pas que parce que votre chambre à air était en bon état au Vietnam, elle l’est nécessairement six mois plus tard au milieu de nul part en Alaska.


Et puis, ne pas abandonner lorsqu’il reste un espoir.


 Il fallait aller au bout. Sorted.

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